Année : 2025

  • Le jeudi, on porte du rose

    Changer de vocaliste pour un groupe n’est pas chose aisée. À tort ou à raison, le chanteur ou la chanteuse est d’abord souvent le visage d’une formation, et ensuite, avant même la musique, sa voix est l’élément qui nous fait accrocher. Avez-vous déjà abandonné un groupe pour cette raison ? Sans trop réfléchir, je pense aux néerlandais de The Gathering, pour qui j’ai perdu tout intérêt après le départ d’Anneke van Giersbergen. J’étais pourtant fan de leur métal atmosphérique, mais je n’ai pas eu la foi d’écouter sa remplaçante. En 2021, l’étonnant trio japonais Wednesday Campanella annonçait le départ de sa charismatique chanteuse Kom_I, remplacée par une certaine Utaha. Les fans savaient bien ce que la première avait d’irremplaçable : sa voix espiègle, son style unique, son indépendance d’esprit, autant de choses qui en faisaient une artiste à part, à l’image de son projet musical. J’ai pourtant laissé sa chance à la petite nouvelle, et, si elle amène quelque chose de différent, appris à apprécier les morceaux du « Wed Camp’ » nouveau. Jeudi, c’est accompagnée du producteur et membre fondateur Kenmochi Hidefumi qu’elle s’est produite au Petit Bain, à Paris.

    Après un DJ qui a eu le bon goût de placer un titre de Perfume et Mayonaka no Door (Stay with Me) de Miki Matsubara, Kenmochi est apparu au fond de la scène, éclairant l’arrière de la salle à l’aide d’une lampe torche. Une entrée à la Johnny ? Dans une péniche pleine à craquer (le concert était complet) ? Il fallait oser, Utaha l’a fait. Certes, le Petit Bain n’est pas le Parc des Princes, mais quand même, on était serrés. Toute vêtue de rose, la chanteuse s’est ainsi frayée un chemin jusqu’à la scène, pour notre plus grande joie à tous ; ce qu’elle refera d’ailleurs plus tard. La dernière fois que j’avais vu une chanteuse se mêler à la foule, c’était celle de Kap Bambino, pas vraiment le même style, donc. Très cool.

    Utaha de Wednesday Campanella fendant la foule au Petit Bain façon Johnny au Parc des Princes (la troisième sera la bonne, pardon il est tard)

    Serial Experiments Lux (@protocol7.bsky.social) 2025-07-31T21:57:43.033Z

    Le rose, parlons-en, d’ailleurs. J’ai tout de suite pensé aux tenues portées par Kyary Pamyu Pamyu lors de son dernier concert parisien, au Cabaret Sauvage. Kom_I serait-elle apparue ainsi ? Elle n’était pas contre les vêtements hauts en couleur, mais peut-être pas à ce point. « Kawai », « cute », Utaha a d’ailleurs été complimentée par le public. Mais il n’y avait pas qu’elle au rang des attractions visuelles : une personne en costume de loup sur Little Red Riding Hood, Kenmochi soudain vêtu d’un habit à motif de vache, des danseuses maniant la passoire à ramen, et, clou du spectacle, un maneki-neko gonflable sur le morceau du même nom. Kom_I avait sa boule gonflable et chantait au milieu du public juchée sur un escabeau ; l’on est content de voir que Wednesday Campanella n’a pas perdu le sens du spectacle.

    Ce changement d’interprète, en revanche, renvoie au passé le répertoire de Kom_I, ce à quoi je m’attendais mais qui fait quand même un pincement au coeur. Il fallait être à Reims, il y a quelques années de ça, pour profiter des chansons de la première époque Wednesday Campanella. Depuis son arrivée, Utaha a posé sa voix sur assez de morceaux pour remplir une setlist, c’est donc de Buckingham, Chateaubriand et autres Edison dont nous avons profité jeudi. Des titres qui reflètent l’ouverture toujours présente du projet au monde, aux arts et à la science. Le style vocal mélange toujours rap et chant plus classique, et si le son un brin saturé où je me trouvais n’aidait pas trop, j’ai trouvé qu’elle s’en sortait bien, sans être d’une justesse infaillible. Elle était aussi généreuse, jamais avare de mimiques rigolotes, et faisant tout son possible pour échanger avec le public à l’aide du peu d’anglais à sa disposition. En ce qui concerne Kenmochi, il continue de nous servir l’electro-pop fine que l’on a appris à aimer, et certains titres comme The Big Four ou Akaneko ont mis une sacrée ambiance. Il faisait chaud au Petit Bain, Kom_I n’est plus là, mais avec Utaha, on s’est bien amusés. Et je continuerai d’écouter son « Wed Camp’ ».

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  • Les mineurs ont bon dos

    Imaginez, vous vous réveillez un matin et tout le monde est habillé sur internet. Un cauchemar ? Non, c’est la réalité… ou ça pourrait le devenir. Les gouvernements ont trouvé la parade pour protéger les mineurs des contenus pornographiques en ligne : la vérification d’âge. Problème, ce qui se fait à vue de nez ou sur la base d’une carte d’identité dans les supermarchés, ou à l’entrée des sex-shops, est moins évident derrière un ordinateur. Sur le net, personne ne sait que vous êtes un chien, disait le célèbre dessin du New Yorker. Qui que vous soyez, l’immensité de la toile s’offre à vous, avec ce qu’on y trouve de pire et de meilleur. Ou d’inapproprié pour votre âge… Le discours sur les dangers du web n’a pas attendu 2025 pour fleurir, mais les choses prennent une tournure plutôt inquiétante cette année. Sous prétexte de tendre vers une régulation similaire à celle qui s’effectue dans le monde physique, les initiatives de vérification d’âge semblent bien parties pour rendre la vie plus difficile à tout le monde. Prenons un exemple avec X, l’ancien Twitter.

    Certes, je vous recommande plutôt d’utiliser Bluesky ou Mastodon, mais il ne m’a pas échappé que le réseau social d’Elon Musk a récemment appliqué, semble-t-il à toute l’Europe, une censure agressive des contenus considérés comme réservés aux adultes. Certains utilisateurs, bien que publiant des photos ou des vidéos suggestives, voient également tout ou partie de leur contenu être masqué. Même un film érotique de la TNT serait plus chaud… Les photos affriolantes d’une modèle amateur japonaise, qui n’a jamais enlevé ses sous-vêtements ? Il va falloir estimer votre âge. Ses deux autres comptes, pendant ce temps, s’épanouissent tranquillement sur Instagram, pourtant connu pour l’application parfois aléatoire de son règlement. Les tenues du jour d’une modèle OnlyFans, qui a spécifiquement créé un compte pour y apparaître habillée, à l’occasion de manière légère ? La plupart des photos sont encore en ligne, mais d’autres sont masquées. Pourquoi ? Allez savoir. L’on pourrait dire que l’ex-site au petit oiseau y est allé fort, car c’est au Royaume-Uni, et pas encore tout à fait en France, que l’internaute doit maintenant présenter sa carte d’identité virtuelle tous les deux clics. Et, comment dire, ça saoule de devoir encore subir les lubies d’un ex après un divorce. Mais l’on ne peut pas séparer les lois et règlements de leurs effets. Pour qu’on les laisse tranquille, certains sites ne vont pas hésiter à jeter les créateurs de contenu licencieux sous le bus, quel que soit le degré de nudité. Ou décider de fermer leurs portes, comme un certain géant de la pornographie en ligne. Quand vous utilisez ces plateformes pour gagner votre vie ou vous faire de l’argent de poche, le coup est rude.

    Mais Lucas, protéger les mineurs part d’une bonne intention, sur le papier. Qu’on s’entende bien, la distribution de contenu pornographique aux moins de 18 ans est interdite, et c’est très bien comme ça. Le sexe explicite, c’est bizarre ; c’est ce que j’ai pensé jusqu’à un certain âge. Par contre, nous avons tous été jeunes, et nous savons bien à quel point la sexualité pouvait occuper nos esprits. Et après tout, les films érotiques, côté classification, sont OK à partir de 16 ans, et des mangas comme Step Up Love Story étaient à l’origine lisibles dès 15 ans. Et, comment dire, les ados n’attendent pas la majorité pour coucher ensemble. Je cherchais des moyens de voir des images de femmes plus ou moins dénudées dès l’école élémentaire, lesquelles étaient moins facile d’accès qu’avec les smartphones d’aujourd’hui. J’avais le fond d’écran que vous voyez ci-dessous à 14 ans. Mais, pour suivre l’air du temps, il faudrait dire que les jeunes subissent désormais leur première rencontre avec des choses pas de leur âge. Qu’elles leurs tombent dessus et ruinent leur innocence à jamais. Je lève un sourcil. La curiosité a poussé bien des gamins d’une certaine époque à mettre dans le magnétoscope une cassette vidéo suspecte. Ils ont peut-être été choqués. C’est normal ! Il ne faut pas en avoir honte ! Rien de bizarre à ne pas être prêt. Mais peut-être aussi, attention, je vais dire quelque chose de terrible, d’autres y ont trouvé quelque satisfaction. Cela ne veut pas dire que l’on doit filer du Marc Dorcel à son cousin lycéen ou mettre Terrifier 2 au programme des sorties scolaires. Votre ami fan de films d’horreur qui a encaissé Alien, le huitième passager à 10 ans et qui « va très bien » ne représente que lui, comme je ne représente que moi. Je pense en revanche qu’il est possible de dédramatiser. Et d’être honnête sur le résultat que l’on vise en régulant internet au nom des mineurs : leur rendre la pornographie inaccessible, comme un kiosquier interdirait d’acheter Union à votre petit frère, ou réprimer leur curiosité pour la sexualité pour défendre, plus ou moins ouvertement, un idéal de chasteté sans rapport avec la réalité.

    La gravure idol japonaise Eiko Koike en fond d'écran d'un ordinateur

    Bref, tout le monde est emmerdé : les créateurs de contenu, les jeunes et les adultes. Des solutions existent pourtant : les systèmes de contrôle parental pour les mineurs, l’éducation sexuelle pour comprendre ce que l’on voit… Quelque chose me dit, malheureusement, que certains groupes à l’origine de toutes ces turpitudes ne sont en vérité pas favorables à ce second point. En d’autres termes : ils sont conservateurs. Une véritable éducation sexuelle, qui met en avant le consentement, qui valorise le plaisir autant qu’elle normalise le droit de s’en ficher du sexe, qui défend les droits reproductifs, qui permet un échange sur les contenus érotiques et pornographiques sans les diaboliser, qui prend en compte les jeunes hétéros comme LGBT, et j’en passe et d’autres conditions, tout le monde n’en veut pas. Ce n’est pas contradictoire : si l’école ou les associations sont empêchées de faire ce travail, internet peut servir à des jeunes (ou à des moins jeunes) à trouver des réponses à leurs questions, des communautés qui les accueillent, ce qui déplaît à ceux qui préfèrent qu’un jeune en questionnement sur son genre suive une thérapie de conversion. Rien de mieux que de murer les espaces inclusifs en ligne via la vérification d’âge. C’est triste, mais l’on se retrouve à redoubler de prudence dès qu’une campagne prétendant protéger les mineurs ou lutter contre les violences sexuelles pointe le bout de son nez, quand bien même elle obtient des résultats positifs comme d’envoyer en prison les pires malfrats de l’industrie du X. Prenons garde à ce que l’on soutient, au risque d’y laisser notre liberté. Il y a bien plus que la possibilité de voir des seins qui est en jeu !

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