Changer de vocaliste pour un groupe n’est pas chose aisée. À tort ou à raison, le chanteur ou la chanteuse est d’abord souvent le visage d’une formation, et ensuite, avant même la musique, sa voix est l’élément qui nous fait accrocher. Avez-vous déjà abandonné un groupe pour cette raison ? Sans trop réfléchir, je pense aux néerlandais de The Gathering, pour qui j’ai perdu tout intérêt après le départ d’Anneke van Giersbergen. J’étais pourtant fan de leur métal atmosphérique, mais je n’ai pas eu la foi d’écouter sa remplaçante. En 2021, l’étonnant trio japonais Wednesday Campanella annonçait le départ de sa charismatique chanteuse Kom_I, remplacée par une certaine Utaha. Les fans savaient bien ce que la première avait d’irremplaçable : sa voix espiègle, son style unique, son indépendance d’esprit, autant de choses qui en faisaient une artiste à part, à l’image de son projet musical. J’ai pourtant laissé sa chance à la petite nouvelle, et, si elle amène quelque chose de différent, appris à apprécier les morceaux du « Wed Camp’ » nouveau. Jeudi, c’est accompagnée du producteur et membre fondateur Kenmochi Hidefumi qu’elle s’est produite au Petit Bain, à Paris.
Après un DJ qui a eu le bon goût de placer un titre de Perfume et Mayonaka no Door (Stay with Me) de Miki Matsubara, Kenmochi est apparu au fond de la scène, éclairant l’arrière de la salle à l’aide d’une lampe torche. Une entrée à la Johnny ? Dans une péniche pleine à craquer (le concert était complet) ? Il fallait oser, Utaha l’a fait. Certes, le Petit Bain n’est pas le Parc des Princes, mais quand même, on était serrés. Toute vêtue de rose, la chanteuse s’est ainsi frayée un chemin jusqu’à la scène, pour notre plus grande joie à tous ; ce qu’elle refera d’ailleurs plus tard. La dernière fois que j’avais vu une chanteuse se mêler à la foule, c’était celle de Kap Bambino, pas vraiment le même style, donc. Très cool.
Le rose, parlons-en, d’ailleurs. J’ai tout de suite pensé aux tenues portées par Kyary Pamyu Pamyu lors de son dernier concert parisien, au Cabaret Sauvage. Kom_I serait-elle apparue ainsi ? Elle n’était pas contre les vêtements hauts en couleur, mais peut-être pas à ce point. « Kawai », « cute », Utaha a d’ailleurs été complimentée par le public. Mais il n’y avait pas qu’elle au rang des attractions visuelles : une personne en costume de loup sur Little Red Riding Hood, Kenmochi soudain vêtu d’un habit à motif de vache, des danseuses maniant la passoire à ramen, et, clou du spectacle, un maneki-neko gonflable sur le morceau du même nom. Kom_I avait sa boule gonflable et chantait au milieu du public juchée sur un escabeau ; l’on est content de voir que Wednesday Campanella n’a pas perdu le sens du spectacle.
Ce changement d’interprète, en revanche, renvoie au passé le répertoire de Kom_I, ce à quoi je m’attendais mais qui fait quand même un pincement au coeur. Il fallait être à Reims, il y a quelques années de ça, pour profiter des chansons de la première époque Wednesday Campanella. Depuis son arrivée, Utaha a posé sa voix sur assez de morceaux pour remplir une setlist, c’est donc de Buckingham, Chateaubriand et autres Edison dont nous avons profité jeudi. Des titres qui reflètent l’ouverture toujours présente du projet au monde, aux arts et à la science. Le style vocal mélange toujours rap et chant plus classique, et si le son un brin saturé où je me trouvais n’aidait pas trop, j’ai trouvé qu’elle s’en sortait bien, sans être d’une justesse infaillible. Elle était aussi généreuse, jamais avare de mimiques rigolotes, et faisant tout son possible pour échanger avec le public à l’aide du peu d’anglais à sa disposition. En ce qui concerne Kenmochi, il continue de nous servir l’electro-pop fine que l’on a appris à aimer, et certains titres comme The Big Four ou Akaneko ont mis une sacrée ambiance. Il faisait chaud au Petit Bain, Kom_I n’est plus là, mais avec Utaha, on s’est bien amusés. Et je continuerai d’écouter son « Wed Camp’ ».
