Parfums sans flacon

Le parfum aime bien les expositions gratuites. Et comme dit le proverbe, si c’est gratuit, c’est toi le iencli. En décembre 2022, Chanel présentait son Grand Numéro au non moins Grand Palais, une mise en scène spectaculaire pensée pour vendre encore plus de N°5 et de Coco Mademoiselle. Jusqu’à dimanche, la Maison Francis Kurkdjian propose à son tour, au Palais de Tokyo, non pas une bête rétrospective des parfums commerciaux du nez de Dior, mais un panorama de ses collaborations avec le monde artistique. On est, après tout, à la Mecque parisienne de l’art contemporain, et l’installation de fleurs en céramique parfumées à la rose qui accueille le visiteur semble tout à fait à sa place. C’est très joli (et ça sent bon), comptez cependant de longues minutes d’attente avant de mettre un pied à l’intérieur, le public étant accueilli au compte-goutte. C’était long, mais tant mieux ; j’ai eu le temps de tout sentir sans pression, ce qui n’est pas toujours le cas dans ce type d’exposition (qui a dit Parfums d’Orient à l’Institut du monde arabe ?). Et de quoi sentir, il y avait.

Même les plus fins connaisseurs des fragrances de la maison n’avaient peut-être senti qu’une fraction des créations présentées. À moins d’avoir suivi religieusement Francis Kurkdjian sur le chemin de ses « conversations artistiques »… Parfum, sculpture de l’invisible nous montre le parfumeur français d’origine arménienne en dialogue olfactif avec les arts, de la musique à l’opéra, mais aussi l’histoire, quand il reproduit le parfum de Marie-Antoinette. Difficile, bien sûr, de transporter au Palais de Tokyo une installation telle que Chutt… d’Eau, laquelle prenait place au bosquet des Trois-Fontaines, à Versailles ; le résultat nous est montré en vidéo, et l’odeur, alors mêlée à l’eau des bassins, offerte à notre nez par un diffuseur. Une douzaine de touches à sentir s’offrent à la curiosité des visiteurs, qui peuvent les ranger dans un écrin distribué à l’entrée, censé les préserver. Une idée maline, la plupart de ces créations n’ayant jamais vu un flacon, ou pas plus de 1000, en édition limitée.

Autre curiosité : la proposition de boire une « eau parfumée », intitulée L’Or bleu, et de déguster un chocolat, partie intégrante de l’installation « multisensorielle » L’Alchimie des sens, construite autour du célèbre parfum Baccarat Rouge 540. Est aussi proposée une expérience en réalité virtuelle, mais je n’avais pas pris le billet adéquat. En fin de visite est reproduit le bureau-atelier de Francis Kurkdjian, sur lequel on trouve dans un désordre organisé nombre de flacons et de touches à sentir. Les fragrances commerciales de la maison, elles, ont droit de cité accompagnée des oeuvres de Christelle Boulé, qui en a utilisé quelques gouttes pour créer des oeuvres abstraites toutes en couleurs. De quoi se familiariser avec ces odeurs avant de les retrouver, vous avez deviné… À la boutique. Si l’argent n’a pas d’odeur, les odeurs, c’est de l’argent.